SF et féminisme #6 : 18e édition des Utopiales, la science-fiction a-t-elle un genre ?

Après quelques mois d'absence, me voilà de retour sur le blog ! 😊 J'ai commencé une formation au CNAM de médiation scientifique, j'ai déménagé, changé de boulot... Bref, j'ai bien été occupée mais maintenant j'aurai plus de temps pour poster quelques billets ! 

Dans le cadre de ma formation, je devais écrire un article de presse. Parmi les sujets possibles, il y avait les Utopiales ! J'ai donc profité de l'occasion pour écrire un nouvel SF et féminisme 😉


18e édition des Utopiales, la science-fiction a-t-elle un genre ?

Au festival nantais de science-fiction, cinq autrices ont participé à une table ronde sur la représentation des femmes dans la SF.

Invitées présentes à la table ronde (de gauche à droite) : Laurence Suhner, Becky Chambers, Emma Newman, et Sylvie Lainé

« Un des premiers grands socialistes avait noté que la situation des femmes dans une société donnée était un signe assez fiable du niveau de civilisation de cette société. Si cela est vrai, la situation déplorable des femmes dans la science-fiction devrait nous faire réfléchir, et nous devrions nous demander si la science-fiction peut être dite civilisée ». Ursula K. Le Guin, autrice réputée de science-fiction et fantasy, écrivait ces lignes en 1975 dans l’essai La Science-fiction américaine et l’autre. Qu’en est-il de la situation actuelle des femmes dans la science-fiction ? Retour aux Utopiales, parmi les 160 tables rondes organisées par le festival, une avait pour thématique la représentation des femmes dans la SF. Intitulée « La femme est-elle l’avenir du space opera ? », les cinq invitées ; Becky Chambers, Emma Newman, Sylvie Lainé, Laurence Suhner et Sylvie Denis, toutes autrices de science-fiction, ont échangé sur la SF au sens large plutôt que sur le space opera. 

Un genre masculin ? 

« Incroyable, les femmes écrivent de la science-fiction ! » ironise Emma Newman en ajoutant « on dirait que c’est un scoop alors que ça fait des années qu’il y a des autrices de SF ». S’il y a effectivement moins d’autrices que d’auteurs de science-fiction, les romans écrits par des femmes ont été oubliés par l’histoire et sont très peu cités dans les compilations des « meilleurs livres de SF ». Sylvie Lainé est allée voir une de ces listes : « dans la rubrique SF du livre de poche, on identifie dix grands maîtres de la science-fiction, que des hommes ». Même constat suite au sondage « Quel est votre roman de science-fiction préféré ? », réalisé par le quotidien The Guardian en 2011 : seulement 18 livres écrits par des femmes ont été cités sur les 500 réponses. 

Pourtant, il y a toujours eu des autrices de science-fiction. Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley est l’une des œuvres considérées comme précurseur de la SF. Publié anonymement en 1818, il fut très bien reçu par la critique jusqu’au moment où l’identité de l’autrice fut révélée. D’autres ont utilisé des pseudonymes masculins afin d’être publiées comme Alice Sheldon alias James Tiptree Jr ou Julia Verlanger qui utilisa d’abord le pseudonyme de Gilles Thomas. Aujourd’hui, à l’heure des succès mondiaux de The Hunger games et The Handmaid’s Tale, tous deux adaptés de romans de SF écrits par des femmes (respectivement Suzanne Collins et Margaret Atwood), il paraît inconcevable que des autrices doivent masquer leur identité. Et pourtant, d’après Sylvie Lainé « les éditeurs pensent que le public préfère les hommes, c’est bien pour ça qu’il y a des femmes qui signent avec un pseudo masculin, on ne voit jamais l’inverse ». 

Visibilité des autrices 

De plus en plus d’autrices de SF sont publiées chaque année, mais l’idée que les femmes ne s’intéressent ni aux sciences ni à la science-fiction reste prédominante. « Plusieurs fois, je me suis retrouvée dans cette situation où l’on me regardait avec des yeux globuleux en me demandant : mais pourquoi écrivez-vous de la science-fiction ? » confie Laurence Suhner. Lors de la parution de son premier roman Vestiges, l’autrice s’est confrontée à un homme dans une librairie affirmant que son livre ne pouvait pas être de la science-fiction puisqu’il avait été écrit par une femme. 

D’après Sylvie Denis, « le problème n’est pas l’existence de femmes auteures de SF mais la visibilité, la façon dont l’histoire est écrite » et là « c’est l’ensemble de la chaîne qui est en question, de l’édition à la diffusion ». Il suffit de regarder les sélections dans les libraires au rayon SF pour se rendre compte de sur qui on braque les projecteurs. « Il faudrait que les libraires soient plus attentifs afin que les femmes aient les mêmes chances d’être lues que les hommes » déclare Emma Newman. 

Un autre des leviers possibles pour améliorer la visibilité des autrices de science-fiction est la nomination pour des prix littéraires. Pour l’instant, selon Sylvie Lainé, les différences sont marquées : « lorsqu’on compare la répartition des prix entre hommes et femmes par rapport à la production, le décalage est flagrant ». Le prix européen des Utopiales, en l’occurrence, n’a été décerné qu’à deux femmes en dix ans (Justine Niogret et Anna Starobinets). Les seize nominés des trois dernières années ne dénombrent qu’une seule femme. 

Créer un nouvel imaginaire 

La représentation des femmes dans les romans de science-fiction pose aussi problème, « il y a un certain malaise à lire des grands auteurs comme Asimov et à se rendre compte qu’il n’y a pas de femmes dans les histoires » déclare Sylvie Lainé. Au contraire de certains auteurs, les autrices de SF n’hésitent pas à développer des héroïnes, un acte intentionnellement féministe ou non. « Je suis une femme, j’aimerais pouvoir exister dans le futur, ce n’est plus compliqué que ça » nous explique Becky Chambers. 

La science-fiction en tant qu’outils de dénonciation, est « le meilleur genre littéraire qui existe pour discuter de problèmes sociétaux » toujours selon Chambers. Pour de nombreuses autrices, la SF offre la possibilité de s’interroger sur les rôles des femmes et de créer de nouvelles visions, loin des schémas habituels de la société patriarcale. « Peut être qu’un jour nous n’aurons plus besoin de participer à ces tables rondes thématiques sur les femmes et la science-fiction » espère Emma Newman. En attendant ce moment, les romans de SF laissent entrevoir un futur plus égalitaire.

Commentaires

  1. Un bel article ! Je ne connaissais pas cette problématique et c'est une bonne idée de la présenter à travers une table ronde : permet de "faire parler" les intervenants et cela rend donc le récit plus vivant ! Merci pour ces informations :)

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    1. Merci Morgane :D j'étais très contente au final de pouvoir écrire un article sur les Utopiales et surprise de trouver cette conférence :) En plus, je suis fan de Becky Chambers, c'était un plaisir de l'entendre partager son expérience et point de vue!

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